Playlist d'explorations digitales

Mixée par la team west (un blog, quoi !)

Maddy Keynote 2018

Le premier février dernier, une bonne partie de la team West s’est déplacée au 104 pour participer à la Maddy Keynote, un événement incontournable si l’on veut rester à la page question startup, nouvelles techno et réflexions sociétales. Cette édition avait pour fil rouge la “Smart City” : comment la penser, comment la définir et quel sens lui donner. Quatre thématiques relatives à cette réflexion ont été abordées.

Le village startups | West
Le village de startups

1. Espace de travail et espace personnel

La gestion du lieu de travail change. Avec la place grandissante accordée au bien-être en entreprise, les jeunes actifs ont de plus en plus de mal à tolérer le modèle du bureau classique, ainsi que le management qui va avec. Un second constat est celui du manque cruel d’ergonomie de ces espaces, qui ne sont pensés ni pour créer, ni pour travailler en équipe. Olivier Derrien, directeur de Salesforce France, Nicolas Paugam, président de Artdesk et Laurent Lhopitallier, directeur CRS chez Sanofi, ont ouvert le débat. Porteurs du management du XXIème siècle, ils ont partagé leurs visions de la qualité de vie au travail. Tous trois s’accordent à dire que celle-ci dépend de trois facteurs qui, cités par ordre d’importance sont : le management, l’espace de travail et les outils à disposition.

Aujourd’hui, la gestion d’équipe par l’autorité est ouvertement critiquée et pour cause, nombreux sont les arguments qui vont à son encontre. On lui impute notamment la multiplication alarmante des burn-out, le stress chronique et la détérioration de la vie personnelle des salariés concernés. À cela, notre trio d’intervenants répond par un management humain et bienveillant, soulignant que celui-ci ne nuit pas à la productivité, bien au contraire. Par exemple, Olivier Derrien permet à ses employés de bénéficier de sept jours de congés supplémentaires par an, s’ils sont consacrés au milieu associatif ou à un projet humanitaire. De son côté, constatant qu’une personne sur six en France était atteinte d’un cancer, Laurent Lhopitallier a mis en place un espace dédié où les employés concernés peuvent se reposer, échanger et exprimer des besoins particuliers.

Bureau conçus par Artdesk | West
Bureaux conçus par Artdesk pour Comet Meetings et Secondesk

L’espace de travail, dans son aménagement, est aussi remis en question : l’open space s’est démocratisé pour faciliter les échanges entre les collaborateurs et mixer les compétences. On assiste également à l’introduction de lieux de partage qui sont pensées comme des lieux de vie : cafétéria, salle de repos, salle de jeux …  Le lâcher prise est central si l’on attend de ses collaborateurs d’être efficaces dans leurs missions. Les condamner à rester face à leurs écrans ne semble décidément pas être la politique de ces entreprises dont on dit qu’elles fonctionnent “en mode startup”.

Enfin, les outils sont fondamentaux pour garantir le confort des employés et des rendus à la hauteur des attentes de l’employeur : ils doivent être choisis avec soin et répondre aux besoins exprimés.

On comprend qu’une transversalité entre espace professionnel et espace personnel se crée, reléguant les lieux de travail stricts et froids au placard ! Le souci du confort et une nouvelle approche relationnelle remettent en cause les frontières de ce que l’on désigne communément par “professionnel” ou “institutionnel”, en entreprise. On se recentre sur l’humain et les besoins individuels. Suivant la même démarche de ciblage, Philippe Ruggieri, directeur général délégué de Nexity, a abordé la question de l’habitat comme vecteur de ce changement de paradigme. La mission qu’il porte chez Nexity, est de démocratiser le confort et l’utile en concevant des “morceaux entiers de ville”. Il transforme ainsi par à-coups des quartiers, en réponse à des problématiques locales : on se soucie de la cible, de ses attentes et de ses contraintes en termes de logement. Il adapte ainsi son offre, qu’il souhaite accessible, afin de permettre “au plus grand nombre d’être propriétaire d’un chez-soi qui leur garantisse un certain niveau de bien-être”. Pour autant cette démarche ne semble pas porter de vision de long terme ni de conviction quant au sens à donner à la ville : ne faut-il pas inscrire l’habitat au sein d’un écosystème animé par une volonté commune plutôt que de bâtir une ville-patchwork de quartiers indépendants ?

2. L’IA dans nos vi(ll)es

Raphaël Cherrier, président de Qucit, Marjolaine Grondin, co-fondatrice et CEO de JAM et Simon Richir, co-fondateur et directeur scientifique de Laval Virtual, étaient présents pour parler de la place de l’intelligence artificielle dans les Smart Cities : sous quelle forme ? Pour quel rôle ? Selon quelle importance ?

L’IA a changé notre relations aux choses, devices ou objets “muets” il y a quelques temps encore, en y apportant une interaction simplifiée et surtout plus personnalisée. Appliquée à tous types de secteurs, elle doit, d’après les convictions de nos intervenants, s’intégrer à nos modes de vie sans pour autant s’inscrire dans une logique d’assistanat ou de coaching, jugée trop intrusive et à terme, abrutissante. Par exemple, JAM, qui est une appli dotée d’une IA, a pour vocation de faire découvrir à l’utilisateur de nouvelles activités et centres d’intérêt au travers de programmes d’essais courts et ne nécessitant pas d’intervention extérieure. L’IA doit être transparente et porter les projets humains. Aussi, Marjolaine Grondin est convaincue que l’IA, au même titre que la calculatrice, demeure un outil nous permettant d’aller plus loin dans nos projections, mais qui ne constitue pas une fin en soi.

Robin Hanson | West
Robin Hanson à la Maddy Keynote

Si l’importance qui sera accordée à l’IA au sein des Smart Cities est un débat majeur, les modalités de sa présence sont tout aussi discutées. Dans un niveau plus avancé de son utilisation, Robin Hanson, chercheur au Future of Humanity Institute à l’université d’Oxford, a soulevé la question du transhumanisme. Storytell-ée à l’anglo-saxonne, son intervention avait pour sujet les “Emulations”, définis comme les humains augmentés. Il nous projette dans un avenir proche, où les sociétés parviendraient à faire de la “brain emulation”, c’est-à-dire à intégrer de l’IA et de la technologie à des être humains, non sans rappeler la série Altered Carbon qui traite également de cette problématique. Cette brain emulation augmenterait ainsi considérablement les capacités intellectuelles humaines (Robin Hanson parle d’une accélération fois 1000 de la réflexion), boostant l’économie de 100 %. Mais bien sûr, cette technologie serait très coûteuse, surtout à ses débuts, et ne concernerait pas le grand public. Le chercheur précise que l’ordre logique de notre monde imposerait de sélectionner les cent profils humains les plus intelligents/influents pour en faire des Emulations. Ces profils “supérieurs” seraient plus productifs, plus intelligents et plus durables que les humains, l’Emulation vivant bien plus longtemps. Le décalage des modes de vie se creusant entre humains et Emulations, ces derniers iraient vivre ailleurs, dans une ville conçue pour eux. Mais dans la mesure où les humains les auraient créées, elles demeureraient à leur service, travaillant à leur place et les délestant de toutes les tâches pénibles en innovant pour eux. En théorie. Car pourquoi accepteraient-elles d’être à notre service ? Robin Hanson conclut alors, avant de s’éclipser : “Now the real question is : are we gonna do something about it ?”.

3. Redéfinir la mobilité

La mobilité constitue à elle seule un sujet de réflexion majeur concernant la Smart City. La population mondiale croît, l’urbanisation des pays considérés comme en développement s’accélère et les populations expriment leurs besoins d’accéder à des services plus adaptés : la mobilité est d’abord une liberté.

Philippe de Montantême - Maddy Keynote | West
Philippe de Montantême à la Maddy Keynote

Fort de ce constat, Philippe Montantême, vice president Strategy Marketing Research chez Total, nous apprend que le nombre de voitures doublera d’ici 2040, posant de ce fait la question de l’impact environnemental. Aujourd’hui, la mobilité est fortement dépendante du pétrole (60 % de l’extraction mondiale). Dans la mesure où il évalue à trente ans notre capacité à remplacer les énergies fossiles, le levier majeur de la baisse de la pollution sera d’abord l’optimisation des moteurs classiques existants, avec pour objectif de les rendre moitié moins énergivores qu’ils ne le sont actuellement. Comme une voiture sur trois sera électrique d’ici 20 ans, l’électrification des véhicules sera dans un second temps décisive pour permettre une véritable transition énergétique. Des villes comme Shenzen ont déjà pris des mesures de grande ampleur en rendant électrique l’ensemble de leurs bus, et en ayant pensé en amont les infrastructures nécessaires à cette transformation. L’enjeu existant dans la normalisation de l’électrique, réside en effet dans la capacité des villes à penser l’ensemble du réseau de mobilité, qu’il s’agisse des routes ou des transports en commun. Les gares, les hubs urbains et les points nodaux sont à définir dans l’optique d’une cité intelligente, fluide et moins bruyante.

Ainsi, la mobility grid, évoquée par Marie-Claude Dupuis, directrice de la stratégie et de l’innovation à la RATP, incarnerait cette démarche globale visant à décloisonner les différents espaces constituant la ville et favorisant la rencontre. On souhaite aller plus loin, plus vite et dans un confort absolu. La maîtrise de l’espace amène son lot d’innovations qui tendent à changer notre façon de voyager : si la ville demeure le lieu où nous nous inscrivons, en sortir nous offre une expérience de découverte en lien direct avec la mobilité. Rachel Picard, directrice générale de Voyage SNCF, a abordé le sujet en rappelant la petite révolution qu’a été l’essor du covoiturage en France, signe d’une envie de voyage accessible par les petits budgets. La mobilité devient MAAS (Mobility As A Service), pensée pour être efficiente, accessible et à l’écoute des aspirations individuelles : Uber, Heetch, BlablaCar, Waze et d’autres, ont su gagner leur place grâce à cette approche. Le géant du train français a ainsi développé une offre destinée aux jeunes, leur permettant de voyager toute l’année au prix d’un pass Navigo : TGV Max. Les usages du grand public changent, amenant les entreprises à revoir leurs acquis en adaptant leurs offres. Demain, l’Hyperloop pourrait nous permettre de faire Paris-Nice en 150 minutes. Demain, la voiture idéale devra être ACES : Autonomous, Connected, Electric, Shared.

4. Quand la ville devient cité

Au-delà des problématiques urbaines et technologiques, définir ce que sera la Smart City passe par la construction d’une vision commune de la société. Bernard Stiegler, philosophe et intervenant au centre Plaine Commune, pose le problème de la définition, ou plutôt de la traduction. “Smart City” est en effet traduit par “Ville Intelligente”, or il serait plus juste de dire “Cité Intelligente”. La nuance a son importance…

“Ville, plus général que cité, exprime seulement une agglomération considérable de maisons et d’habitants. Cité, même en éliminant le sens antique, ajoute à cette idée et représente la ville comme une personne politique qui a des droits, des devoirs, des fonctions.” Le Littré

Pour Bernard Stiegler, nous devons repenser une cité, le lieu des citoyens et de la prise de parole. Cette cité doit aussi être un lieu d’identité et en cela, nourrir cette obsession de faire de nos villes des plates-formes semblables à la Silicon Valley, la Chine ou la Corée est dénuée de sens, puisqu’aucun de ces modèles ne serait endogène à notre culture. Loin de partager la vision d’une ville idéale automatisée qui ferait de nous des “moutons technologiques”, il défend la production d’un modèle qui nous sera propre et qui aura été construit selon une volonté collective intelligente. Il rend ainsi concrète sa démarche vers le temps néguanthropocène* (qui va à l’encontre de l’anthropocène** et qui soutient l’idée d’un établissement harmonieux de l’homme dans son environnement) et affirme que tendre vers ce temps, c’est lutter contre l’entropie*** dévorante à laquelle nous sommes sujets sous tous les aspects de nos vies. Favoriser un retour à la conception d’une cité écosystème dans lequel la technologie, présente mais pas reine, servirait de liant à l’ensemble des infrastructures. Pour Stiegler une cité intelligente est une cité habitée : en vie.

Luc Schuiten -Maddy Keynote | West
Luc Schuiten à la Maddy Keynote

Finalement, cette vision riche, responsabilisante et presque plus effrayante que celle d’une ville manoeuvrée par les IA, est extrapolée par Luc Schuiten, architecte belge du biomimétisme, qui dessine à foison ce que pourrait être la symbiose des constructions humaines et du végétal. L’enjeu est dans la compréhension de notre environnement naturel, social, culturel afin de s’y inscrire avec conscience, respect et durabilité.

 

*néguanthropocène : le temps vers lequel nous devons aller et qui implique de mettre fin à l’anthropocène, destructrice et nocive.

**anthropocène : notre époque, celle que nous avons toujours connue et qui est marquée par l’impact que nous avons sur l’environnement (elle dure depuis environ deux siècles).

***entropie : processus d’augmentation du désordre, souvent associé à une notion de dégradation

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